Les dirigeants d’entreprise et les DRH sont particulièrement confrontés au défi de l’équité dans cette période.
Les déséquilibres engendrés par la crise sanitaire sont multiples. Parfois amplifiés par les dispositifs légaux, les stratégies choisies, la nature des personnes ou des objets, ou encore les circonstances…
Maintenir ou renforcer le sentiment d’équité des collaborateurs dans les différentes phases de cette crise constitue un enjeu à court terme et à long terme pour les directions d’entreprise. Le sentiment d’équité des personnes et des équipes influencent tout autant la cohésion du collectif de travail, les capacités d’adaptation, les nouvelles performances à conquérir, la rétention des talents, et l’acceptation sociale des décisions à venir !
De l’action urgente aux ressentis en situation de crise
Cette pandémie et les décisions prises pour y faire face, en urgence et avec de nombreuses inconnues, ont mis à terre les systèmes organisationnels de tous les collectifs de travail en quelques jours.
Par le vide, par le trop plein ou par le partiel, les règles et repères formels et informels, les routines gagnantes ou pas, les équilibres antérieurs (même fragiles) ont été balayés par la crise sanitaire et ses corollaires.
Le danger et l’urgence ont posé un temps un voile sur les déséquilibres nés ou renforcés par ces circonstances extra-ordinaires. Au fur et à mesure que les jours passent, que des situations à durée indéterminée s’installent, des sentiments divers s’expriment.
De l’acceptation sincère des différences de traitement justifiées par les circonstances à la dénonciation des privilèges et des non privilèges nés des circonstances actuelles et/ou du passé, différents ressentis se dévoilent au regard de la diversité des situations ou des traitements.
Des déséquilibres multiples qui fracturent le corps social ouvertement ou insidieusement
- Entre les collaborateurs qui sont physiquement au travail depuis le début de la crise, ceux qui le sont depuis le 11 mai, et ceux qui sont et resteront en télétravail ou au chômage complet ou partiel depuis plusieurs semaines…
- Les inégalités salariales relevées partout dès les premiers jours de la crise entre des salariés redécouverts comme les « clés de voute » du fonctionnement de la société (santé, alimentation, logistique, éducation…) et certains talents stratégiques hier, perçus objectivement ou subjectivement comme moins engagés ou moins contributifs aujourd’hui…
- Entre les fonctionnaires du soin supportés par les boulangers et les restaurateurs et les salariés pauvres du privé ou de l’économie souterraine qui ne parviennent pas à se nourrir…
- Entre les CDD et les intérimaires au front et les CDI en 3ème ligne…
- Entre les télétravailleurs qui jouissent naturellement de bonnes conditions de travail, et ceux qui doivent gérer le travail, les scolarités décalées des enfants, l’intendance familiale…
- Entre les collaborateurs qui ont souffert de ce virus contracté parfois sur leur lieu de travail et les collaborateurs qui auront profité de cette période pour une remise en forme...
- Entre les collaborateurs qui ont perdu des proches et ceux qui ont pu davantage profiter des leurs durant le confinement…
- Entre les collaborateurs des différents pays qui ne bénéficient pas des mêmes conditions de sécurité et de soin… et donc de vie et de travail.
- Entre les collaborateurs qui apparaissent encore plus stratégiques qu’avant et les collaborateurs qui sont encore plus facilement remplaçables à la lumière des stratégies de déconfinement, de redressement et de la nouvelle conjoncture du marché du travail…
Les exemples ne manquent pas.
Qu’il s’agisse de la santé, du travail, des conditions de sécurité, des rémunérations, de l’information, du management, de la reconnaissance… la situation de crise à révéler, amplifier, créer des iniquités et des inégalités objectives ou subjectives qui fracturent le corps social ouvertement ou insidieusement.
Pourquoi s’attaquer à l’iniquité plutôt qu’à l’inégalité ?
Ou à l’équité plutôt qu’à l’égalité ? Ce sujet me rappelle un débat vif, il y a plusieurs années, en comité de direction au sujet de l’équité, de l’égalité, de l’unicité et de l’uniformité… Chacun avait un avis à la fois « politique » et personnel sur ces notions, sous l’influence du vécu, des projections, et selon le sujet concerné…
Je retire de mon expérience de DRH les 3 réflexions suivantes au regard de la gestion de l’équité :
Améliorer l’équité sur un sujet précis contribue très souvent à réduire l’inégalité sur un sujet plus large.
Agir pour plus d’équité est une forme de reconnaissance de la diversité des situations et des besoins des personnes et des organisations.
Le choix de l’objet d’équité et la façon de le traiter influence la perception de justice, même dans le cas où le résultat visé n’est pas totalement obtenu.
L’application du droit ne garantit pas toujours l’égalité, ni l’équité
Il est néanmoins important de préciser ici que l’égalité de traitement au regard des droits fondamentaux, ou du droit du travail pour ce qui concerne les relations employeur-collaborateur, est une des conditions de base pour travailler sur l’équité.
Toutefois l’application égalitaire du droit ne garantit pas toujours un résultat juste, équitable, au regard des attributs ou de la situation d’un individu, d’un groupe ou d’une organisation. Les dispositifs de gestion de la crise sanitaire actuelle illustrent en partie ce constat, comme par exemple en matière de télétravail.
Tout comme des règles internes projetées comme égalitaires ne créent pas nécessairement un sentiment de justice, d’équité chez les salariés.
L’entreprise en tant qu’organisation collective crée ses propres règles à partir du droit, en complément du droit, mais aussi indépendamment du droit pour pouvoir agir dans le sens de ses objectifs divers, fonctionner, motiver, satisfaire des clients et des salariés tout aussi divers…
Les règles internes à l’entreprise
Des facteurs internes influencent le choix des règles internes. Et des facteurs externes les influencent tout autant. Qu’il s’agisse dans les deux cas de facteurs conjoncturels ou structurels.
Les environnements concurrentiels, sociétaux, géographiques, culturels de chaque entreprise comme les différents contextes qui traversent son existence influencent aussi les décisions au regard de ses règles internes. Et ces règles peuvent influencer à leur tour les environnements, quand ces règles, les stratégies ou les pratiques qu’elles recouvrent deviennent une norme.
Par ailleurs, les règles internes ont des vies particulières qui conditionnent leur capacité à assurer l’inégalité ou l’équité, et les perceptions que les lignes managériales et les collaborateurs en ont.
En effet, les règles spécifiques d’une entreprise peuvent être prévues pour s’appliquer à toute l’entreprise ou concernées seulement certaines équipes. Elles peuvent perdurer dans le temps de façon pertinente, ou par routine et aussi par oubli. Elles se cumulent aussi très souvent, créant ainsi une complexité ou un écran qui conduit les salariés à s’interroger sur leur nature équitable.
Même en y apportant le plus grand soin, toute cette structuration dynamique de l’organisation collective et de la gouvernance de et dans l’entreprise génère inéluctablement des réalités et des sentiments d’injustice, d’iniquité, d’inégalité… au regard des besoins ou des situations des personnes ou de groupes particuliers, ou de circonstances particulières.
Afin de maintenir et développer la motivation, la satisfaction, l’envie de coopérer et la cohésion au sein de l’entreprise, et de ne pas les dégrader, il apparait incontournable d’anticiper et de traiter en continu ces iniquités objectives ou subjectives.
Mais aussi parfois de décider de ne pas les traiter en toute connaissance des effets de bords potentiels et des impacts de ces derniers.
L’équité, l’objet ciblé d’une collaboration large
Garantir une équité objective ou perçue comme acceptable nécessite d’expliquer les choix et les arbitrages que les directions d’entreprise font. De nombreux facteurs non intentionnels se cumulent et malmènent l’équité objective et les perceptions que chacun peut en avoir sur différents sujets.
Dans les petites structures, il revient souvent au dirigeant d’identifier les ressentis sur ce sujet des collaborateurs, d’identifier s’ils sont la cause de dysfonctionnements, et les traiter.
Dans les plus grandes structures, les managers et la fonction RH dans leurs rôles respectifs (cf. La nouvelle stack RH) se doivent d’être proactifs pour les identifier, pour proposer ou pas des rééquilibrages… Les arbitrages étant ensuite réalisés par les directions, et le plus souvent par les négociations avec les partenaires sociaux lorsqu’il y en a. En situation optimale, c’est aussi à travers une collaboration constructive avec les représentants du personnel que ces situations objectivement déséquilibrées ou que les ressentis sont identifiés, travaillés, ajustés… Un dialogue social plus pointu et plus créatif