Comment innover en RH ? En réalité, comment bien faire le job en fonction du contexte ? Comment la fonction RH réagit-elle aux modes managériales ?
Pour répondre à ces questions dans le cadre du numéro 12 du MagRH, j’ai choisi de revenir sur mon parcours professionnel et mon propre cheminement entre pratique et connaissance de la pratique. Et de partager les 5 piliers de mon innovation RH ordinaire.
Je souhaite qu’à travers ce partage d’expérience, de nombreux professionnels RH trouveront des clés d’actions pour en finir avec « les RH demain… » 😊 et, surtout pour faire réussir l’entreprise et les collaborateurs.
“ La connaissance procède de l’action sur les choses avant de la guider. Puis c’est entre les deux un perpétuel devancement réciproque“ Henri Wallon
1- Saisir les opportunités de moments clés
– Avant d’arriver en tant que RH ou DRH dans l’entreprise
La recherche d’un emploi de DRH/RRH et les informations recueillies lors du recrutement conditionnent en grande partie la capacité à être ou devenir un professionnel RH contributeur, développeur, bâtisseur, innovant…
Au début de mon parcours professionnel, j’ai spontanément privilégié un environnement où il y avait à faire.
Il m’a aussi choisi aux termes de 13 entretiens de sélection (ça marque…).
Les jeunes professionnels RH qui souhaitent devenir DRH pensent très souvent qu’il faut d’abord maitriser les techniques administratives et juridiques pour être un bon RRH ou DRH… Ma propre trajectoire, mon expérience de management d’équipe RH ainsi que les récents échanges avec de jeunes professionnels RH à l’occasion de la publication « Pour en finir avec les RH demain… » me confortent dans l’idée qu’elles les enferment, plus qu’elles ne les ouvrent et les préparent aux challenges de la fonction.
– A la prise de fonction RH
Dans cet instant, il est souvent plus facile d’avoir l’attention des dirigeants, des managers et des collaborateurs pour proposer, aller plus loin ou autrement… Et déjouer le piège de l’immobilisme que vous aviez tenté d’identifier lors du recrutement « on verra ça plus tard, vous n’avez pas encore tout compris… ».
La confiance n’étant pas (encore) installée à ce stade, mieux vaut rester proche des préoccupations stratégiques, économiques et sociales de la direction et des salariés. Les reformuler permet de partager et de valider collectivement la nécessité d’agir.
Il est aussi astucieux de les mettre dans une perspective plus large et d’y distiller une vision plus globale.
Personnellement, je profite toujours de cette séquence pour initier ou proposer, selon le contexte, le Projet Humain de l’entreprise. C’est une démarche que j’ai spontanément élaborée.
Le Projet Humain de l’entreprise est une proposition de cadre et de cap collectifs. Il permet de dialoguer avec les directions et les salariés, de mieux relier les objectifs de développement et les actions de fond et opérationnelles.
Le Projet Humain est à la fois un développeur de sens et une boussole.
– Pendant.
Même les entreprises les plus conventionnelles sont confrontées à de petites ou de grandes ruptures dans leur stratégie ou dans leur fonctionnement, à des bouleversements dans leur environnement…
Et comme “il n’y a pas de problème technique dans une entreprise mais que des problèmes humains“ (M. Raymond Laurent, mon premier directeur chez Schneider), le DRH en poste n’a que “l’embarras des opportunités“ pour monter ou remonter au créneau sur des propositions RH, managériales ou organisationnelles.
2- Affronter la complexité d’une entreprise
Le management des Ressources/Relations Humaines regroupent des sujets très divers.
Il peut être tentant de les appréhender par le petit bout de la lorgnette pour les réduire.
Il peut être tout aussi tentant de tout englober pour simplifier ou de contre-plaquer les approches ou les outils du moment – les modèles et les théories à la mode – pour se rassurer et rassurer.
Peut-être parce que :
- je n’ai pas suivi une formation RH.
- j’ai débuté ma vie professionnelle dans le contexte de mutations profondes : mondialisation, informatisation…
- j’ai étudié trois projets de création d’entreprise avant de conduire une recherche d’emploi.
- j’ai orienté ma première recherche d’emploi sur une fonction que je souhaitais la plus généraliste possible dans un contexte entrepreneurial.
- les trop rares cours d’Henri Savall ont stimulé mes interrogations sur les liens entre Business, Organisation et Ressources Humaines…
- j’avais envie d’apporter ma pierre à l’édifice, comme beaucoup de jeunes d’hier, d’aujourd’hui et de demain…
Peut-être, tout ceci réuni m’a-t-il orienté contre toute attente vers la fonction RH que je projetais à l’époque – certains en souriront probablement – comme une des fonctions les plus généralistes, transverses et impactantes pour la performance de l’entreprise : la stratégie, les Hommes, l’organisation.
Ceci pour vous dire que je suis partie la fleur au fusil, avec très peu de connaissances, de fortes convictions et surtout une réelle envie de démontrer qu’il était possible de concilier dans l’entreprise : informatisation, intérêt et satisfaction du travail pour les salariés et performance économique.
Une fois dans l’entreprise, mes seules ressources étaient ma tête, mon travail, quelques aptitudes relationnelles, quelques réflexes acquis pendant mes études.
Je n’ai eu comme seul choix que celui d’affronter la complexité bien réelle des entreprises, et celle de mes propres idéaux !
Comme beaucoup de jeunes professionnels RH, je n’ai pas été dans le feu de l’action sous l’influence des modes managériales car je ne les connaissais pas.
J’utilisais très souvent l’expression « dynamique d’action » pour proposer des solutions, aller plus loin sur un existant, projeter ce qui serait nécessaire de faire ou d’avoir, réorienter le légal aux services d’objectifs business, organisationnels ou managériaux, etc.
Ce bain de nouveautés et de complexités ainsi que le cheminement personnel qui en a découlé ont été très formateurs.
Ils m’ont beaucoup aidé tout au long de ma vie professionnelle et m’aide toujours.
Écouter, observer, relier, questionner, challenger, faire des aller-retour, connaître et comprendre un contexte, des besoins, etc. pour disposer de la compréhension la plus juste possible d’un enjeu ou d’un problème – ou du fait qu’il ne soit pas identifié comme tel – pour comprendre les logiques circulaires et ne pas se limiter à des explications simplistes de cause à effet.
Toute cette captation et cette gymnastique se réalisent le plus souvent dans le flux quotidien du travail. Il est aussi utile de se poser, de prendre du recul, de projeter, de questionner les liens établis et d‘en ressortir du sens, une vision, des propositions, etc.
Avoir la compréhension la plus juste possible de l’entreprise, de son métier, de ses marchés, de son corps social dans sa diversité et sa globalité, des choix, des fonctionnements, des comportements… est un allié de tous les instants pour réaliser ponctuellement une action ou pour proposer une politique ou une stratégie RH en perdant ni le cap, ni la cohérence. De plus, utiliser les spécificités et les paradoxes d’une organisation permet d’ouvrir un nouvel espace collectif, d’élargir le champs de vision et d’action de tous, et de stimuler la créativité et l’envie.
3- Faire confiance à son intuition et savoir rêver…
Qu’il s’agisse d’enjeux explicites ou de signaux faibles repérés, il faut aussi faire confiance à son intuition pour proposer des actions de progrès à une direction générale, aux salariés et à leurs représentants. Ne pas être systématiquement dans l’analyse, la règle ou l’instrument qui rassure ou positionne permet à son intuition, et aussi à son imagination, de s’exprimer.
Il faut savoir rêver et faire rêver pour convaincre et entraîner.
Développer un juste idéal nourrit l’énergie à déployer par tous pour en réaliser au moins une partie.
Par expérience, l‘intuition et l’idéal projeté sont rarement totalement hors sol.
Ils se nourrissent inconsciemment de toutes les connaissances, les expériences, les informations engrangées de façon formelle ou informelle, les collaborations, les coopérations, les confrontations, les échanges, les négociations… Et dans tous les cas, ils seront à matérialiser pour les rendre compréhensibles, crédibles et convaincants auprès du plus grand nombre.
4- Concrétiser : le cercle vertueux de la crédibilité et de la confiance
Concrétiser une grande ou une petite action « neuve » est la meilleure façon de « faire voir » aux dirigeants et aux collaborateurs l’idée, l’intention et les bénéfices ou les avancées attendus…
C’est aussi la meilleure façon d’illustrer la dynamique d’adaptation que toute organisation doit désormais mettre en œuvre pour répondre au flux continu des changements.
Aller au bout des innovations RH contre vents et marées, c’est aussi gagner la confiance de toutes les parties prenantes. Et gagner en crédibilité.
Même quand tout n’est pas parfait et qu’il faut encore ajuster, les collaborateurs sont toujours reconnaissants de voir aboutir les projets qui les concernent, trop habitués à passer après les clients ou les problématiques techniques… Et c’est un cercle vertueux. Les collaborateurs accueilleront avec attention vos prochaines propositions et seront davantage enclin à s’y impliquer.
Les démarches participatives ou collaboratives sont pour moi indissociables des projets de progrès en RH ou d’innovations RH, de l’idée à la réalisation.
Au-delà d’identifier ensemble un besoin ou d’enrichir l’objectif proposé,
- Elles favorisent l’usage de l’innovation et sa réalité opérationnelle.
- Elles sont aussi un vecteur de développement individuel, d’apprentissage collectif et de motivation.
- Elles élargissent notamment l’horizon du travail, des emplois et des métiers, des intérêts individuels ou d’équipe.
- Elles régénèrent le fonctionnement des organisations.
- Elles contribuent à créer des compétences collectives, qui sont trop souvent oubliées ces dernières années au profit des compétences individuelles.
Le DRH doit serrer fort la barre pour mener à leur terme ces grands ou petits projets de progrès.
Souvent des négociations, de nouvelles priorités ou des aléas traversent les entreprises et remettent en question les orientations, les stratégies, les politiques, les démarches, les outils… Dans ces moments, il faut encore s’approprier ces évènements et les nouvelles donnes qu’ils génèrent, les évaluer pour savoir si on passe outre ou si on s’ajuste…
Enfin, l’équipe RH, quelle que soit sa taille et la diversité des profils, est un atout essentiel pour la réussite de stratégies RH innovantes et contributives. Lorsque l’ensemble de l’équipe RH a intégré les orientations et y adhèrent, chaque acteur RH est alors attentif à les traduire dans les actions quotidiennes : de la paie au management de la performance en passant par le juridique. J’ai eu la grande chance d’avoir à mes côtés à quelques reprises de telles équipes. Cela facilite tout. Elles contribuent non seulement à mener à bien telle action ou tel projet, mais aussi à imprégner au fil de l’eau toutes les autres activités et pratiques RH. C’est ainsi qu’une réelle transformation RH peut progressivement s’opérer.
5- S’oxygéner
- Se confronter à la complexité d’une système économique et social,
- être attentif à chacun,
- articuler et équilibrer les intérêts collectifs et individuels,
- élaborer un juste idéal mobilisateur et convaincre le plus grand nombre,
- animer une dynamique collective d’action, matérialiser les apports de l’ensemble pour les différents acteurs,
- et ajuster le tout en permanence
- est à la fois passionnant, dense et très exigeant. Il faut bien l’avouer parfois aussi épuisant.
Un des enjeux d’un DRH (h/f) et de son équipe qui remuent le cocotier et font avancer les sujets est de préserver et adapter au fil du temps leurs capacités à définir ce juste idéal et à prolonger cette dynamique d’actions collective.
Pour répondre à cet enjeu, quatre retours d’expériences :
– grâce aux premières actions conduites et résultats obtenus, réunir les conditions pour que d’autres parmi la direction, les managers, les salariés ou les IRP prennent en partie le relais des propositions d’adaptation ou d’amélioration et soient aptes à contribuer à leur mise en oeuvre. Ce n’est certes pas évident selon les entreprises, mais quelques personnes suffisent.
– rester proche des dirigeants, de leurs réflexions et questionnements car leurs connaissances des produits, des marchés et de leurs évolutions comme leur dynamique entrepreneuriale pour éviter de se faire plomber par le juridique ou les relations sociales est pour ma part stimulant, même quand leurs priorités RH changent…
– rester proche des salariés dans une relation équilibrée faite d’empathie et d’exigence contribue également à consolider ensemble les réalisations et à en inspirer d’autres…
– enfin, à titre individuel ou en équipe, réaliser une veille économique, technique et sociale sur quelques sujets structurants contribue à faire évoluer sa vision et ses pratiques.
Pour ma part, les mutations du marché du travail et de la relation d’emploi ainsi que l’informatique – qui n’a pas cessé d’évoluer et d’élargir son influence – sont les sujets à fort impact sur les entreprises et les salariés que j’ai toujours suivis.
Ils ont contribué à stimuler mes réflexions et mes pratiques en matière d’organisation, de management des ressources humaines ou de gestion des carrières. A les faire évoluer, voire à entreprendre (cf. la plateforme id-carrières.com 2010-2018).
Ces trois thèmes n’illustrent pas toute la réalité d’une entreprise et du management des ressources humaines. Ils constituent des angles qui m’intéressent tout particulièrement et me conduisent vers d’autres connaissances.
J’ai réellement découvert ce qu’était la recherche en management lorsque j’étais consultante à l’emlyon puis DRH, Secrétaire Générale et Directrice des projets stratégiques. Un professeur m’a dit à l’occasion de la publication de son livre sur la gestion de projet alors que je l’avais invité à une réunion de lancement d’un gros projet RH : « nous ne faisons qu’étudier ce que tu fais ». J’avoue ne pas l’avoir cru, impressionnée par les savoirs et la puissance de réflexion de ce petit monde savant…
En dépit d’un temps réduit à dédier à toute cette formidable connaissance, j’ai beaucoup appris à travers mes échanges et mes collaborations avec la Faculté sur la finalité des travaux et productions académiques. Sur ce qu’elles pouvaient m’apporter en tant que praticienne : à me questionner !
A partir des années 2000 et suivantes, Internet puis le Web 2.0 ont été pour moi une révélation. Les usages du Web social et la culture digitale m’ont aidé à mettre des mots sur mes pratiques RH intuitives ou stimulées par les contextes : complexité et collaboration interdisciplinaire, dynamique d’apprentissage, individualisation des parcours et implication organisationnelle, appréhender les relations et les outils informatiques sous un autre angle…
Comme je l’avais écrit dans un billet de blog il y a quelques temps déjà, je ne crois pas au hasard. Les innovations digitales ne sont que la suite des évolutions antérieures, des besoins que ces dernières ont suscités, des réponses que certains y ont apportées, des réponses adoptées par un grand nombre…
Désormais les concepts et approches relatifs au management des entreprises, aux comportements organisationnels, aux parcours professionnels, etc. se diffusent à la vitesse des bits et des likes.
C’est enthousiasmant, stimulant… Cependant je les passe toujours au filtre des entreprises et des salariés, de ce que j’en connais, pour en extraire ce qui pourrait être réellement utile et réalisé dans tel ou tel contexte.
Au hasard de ma veille et lectures, je découvre depuis quelques années avec intérêt les travaux de chercheurs. Je me dis parfois, avec une satisfaction modeste mais certaine : « tiens sans savoir tout ça, c’est exactement ce que ce dirigeant, ce manager, ce salarié ou moi-même, nous avons fait ici ou là ».