Les nombreuses évolutions du monde du travail questionnent la pertinence du lien de subordination : la mutation des modes de production et d’organisation du travail; le développement du travail indépendant; la bataille des talents; la qualification accrue des salariés et leur désir d’autonomie; le défi de l’engagement dans les organisations, etc.

Le lien de subordination est-il obsolète ? Faut-il faire évoluer cette composante du contrat de travail en France ? Si oui, comment ? Faut-il envisager sa suppression ?

J’ai eu le plaisir d’échanger avec Maitre Sophie Greder, avocate au sein du cabinet d’avocats AKLEA, lors de la RMSCONF 2018 « Travail ou Emploi qui l’emportera ? ». L’occasion de mixer les visions juridiques, RH et managériales. Voici un résumé de notre échange et de nos réflexions croisées.

Une définition récente du lien de subordination 

SG

L’existence d’un contrat de travail est constitué sur la base de 3 critères : la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination.

Les notions de prestation de travail et de rémunération existants dans tout type de relation commerciale, c’est la notion de lien de subordination qui est le critère prépondérant pour déterminer l’existence d’une relation de travail de type salariat.

Cette notion de lien de subordination est une invention jurisprudentielle, dont la définition a suscité de nombreux débats tout au long du XXième siècle : subordination juridique, dépendance économique, travail au sein d’un service organisé.

Il faudra attendre l’année 1996 pour avoir une définition juridique stable de cette notion (cass.soc 13-11-1996) :

« Le lien de subordination se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné».

Entre protection et sanction, le lien de subordination est-il un élément majeur ou marginal en matière de contentieux ?

SG

En pratique, cette notion d’existence ou non d’un lien de subordination se pose le plus souvent en matière contentieuse le plus frequemment lorsqu’il est mis fin à une prestation de travail : free-lance, auto entrepreneur, prestataire de service.

Le prestataire invoque l’existence d’un lien de subordination qu’il indique être caractérisé par : contrôle de l’activité, dates de congés imposées, intégration au service, directives données… , pour demander la requalification de la relation commerciale en relation salariale.

Les conséquences financières de telles demandes peuvent être désastreuses pour les entreprises. Elles peuvent se voir condamner entre autres aux paiements de rappel de salaire, d’heures supplémentaires, indemnité de rupture du contrat de travail mais également être condamnées au titre du travail dissimulé et/ou prêt de main d’œuvre illicite, avec les rappels de paiement de cotisations sociales.

MPF

Il est intéressant de noter que ces prestataires indépendants cherchent, à un moment donné, à bénéficier par de telles démarches des avantages sociaux et financiers du statut Salarié.

Le manager a-t-il encore besoin de se référer au lien de subordination ?

SG

On assiste aujourd’hui à une modification des modes d’organisation du travail qui tend vers plus de liberté et d’indépendance dans le cadre de l’exécution des missions. Le forfait jours pour certains cadres était déjà un début de reconnaissance d’une autonomie dans l’organisation du travail. S’ajoutent aujourd’hui le travail à distance, le télétravail, le management par projet…

Tout ceci amène les managers et les entreprises à repenser la pratique de subordination, et notamment les éléments relatifs aux consignes et directives données et aux contrôles.

Seul le critère lié au pouvoir de sanction reste, à mon sens, encore aujourd’hui véritablement pérenne.

S’oriente-t-on vers un marché du travail où tout se négocie ?

Où la performance est le seul métrique d’évaluation de poursuite ou non de la relation de travail ? Donc de sanction.

SG

L’essor des auto-entrepreneurs au sein des entreprises comme nouvelle force de travail peut effectivement avoir un véritable impact sur l’appréciation de la performance et de la rentabilité des collaborateurs salariés.

Les dirigeants constatent qu’ils ont plus de flexibilité face à l’incertitude, que le coût est moindre, et que mettre fin à la collaboration est plus simple.

MPF

Les freelances ont aussi des objectifs, des contraintes de moyens, des délais qui sont définis par les entreprises qui les « emploient ». La non subordination s’exprime au final essentiellement par une organisation autonome du travail : le lieu de travail, les horaires et le temps de travail… et aussi l’absence d’avantages sociaux cofinancés par l’entreprise.

J’observe que beaucoup de jeunes salariés passent sous statut indépendant, et après quelques mois, ils aspirent à revenir en entreprise. Les démarches commerciales, la sécurité d’un revenu régulier et les avantages sociaux, ainsi que le travail en équipe sont souvent leurs premières motivations.

SG

Comme vous le disiez, il y a et aura effectivement une sélection par le marché.

Les indépendants détenant des expertises recherchées, et ultraperformants, arrivent à dépasser les obstacles que vous mentionnez. Pour les personnes ne disposant pas d’une compétence rare, elles rencontrent très vite une forme de précarité, et souvent d’isolement.

MPF

A ce sujet, le coworking, comme nouvelle espace communautaire, a aujourd’hui le vent en poupe. Les espaces de coworking ont aussi « leur règlement intérieur » auxquels les membres doivent se soumettre sous peine de sanctions. Il en est de même pour les nouveaux réseaux de freelance. Ils ont des règles de fonctionnement qui s’impose aux personnes et à la communauté.

Pour conclure sur ce point, on pourrait dire qu’entre salariés et indépendants, le contenu du travail à produire reste souvent le même au regard des objectifs donnés. Une évolution des relations et des conditions de travail dans les entreprises pourrait répondre aux insatisfactions et au mal-être des salariés.

Ces dernières s’expriment aujourd’hui à l’encontre du lien de subordination comme révélateur du manque d’autonomie, d’implication, de reconnaissance et de sens au travail. Ces insatisfactions questionnent plus largement les pratiques de management et RH. Et ce, par des salariés qui pour autant ne souhaitent pas en majorité embrasser un statut indépendant.

Le droit du travail est un outil de régulation. A-t-on encore besoin qu’il régisse la relation de travail et d’emploi ?

SG

Oui, le droit du travail reste essentiel. La difficulté est qu’il n’évolue pas aussi vite que les nouvelles organisations.

Il est nécessaire de repenser la définition même du lien de subordination notamment pour ce qui concerne le contrôle et les directives qui peuvent être antinomiques avec l’autonomie et la responsabilité nécessaires en matière de management.

MPF

A l’occasion de cette redéfinition, ne faudrait-il pas en profiter pour le renommer ? Par exemple, relation de collaboration, engagements de collaboration…

Par ailleurs, peut-on imaginer notamment avec la nouvelle loi PACTE, des chartes d’entreprise qui se substitueraient au code du travail et au contrat de travail ?

Ces chartes reprendraient les engagements et les attentes de l’entreprise au regard de la relation de collaboration. Les salariés comme les freelances s’engageraient en fonction, dans telle ou telle entreprise.

Un tel dispositif conduirait les organisations à travailler stratégiquement et opérationnellement sur leurs pratiques de management et leur culture, et à réduire l’écart entre les paroles et les actes. De telles chartes pourraient aussi renforcer la profondeur et la crédibilité des stratégies de Marque Employeur, d’Expérience Collaborateur, et enrichir le Projet Humain de chaque entreprise, organisation.

SG

Les ordonnances Macron de 2017 ont notamment donné plus de poids aux négociations au sein des entreprises, leur permettant de créer leur propre statut social, avec ses spécificités, qui ne sont pas forcément calquées sur le code du travail ou les accords collectifs de branches.

La facilitation de la négociation d’accords d’entreprises peut être effectivement un levier d’attractivité pour le recrutement et la fidélisation des collaborateurs.