Le recrutement est une des activités les plus incertaines et les plus critiques des organisations : « Un recrutement est toujours un pari… le recrutement n’est pas une science exacte… »

Le « risk management » mis en place par les entreprises en matière de recrutement repose principalement sur l’expert-recruteur : le cabinet de recrutement pour externaliser une partie des risques; le recruteur interne, responsable dédié, censé maitriser les risques ou les limiter.

Le recrutement n’a pas échappé aux promesses du digital : plus facile, plus vite et surtout plus sur !

Les innovations de recrutement portées par le digital se présentent comme des solutions centrées sur la maitrise des risques, essentiellement les risques de sourcing et d’évaluation des candidats.

Alors que les difficultés de recrutement projetées sont désormais bien réelles et sont un frein prouvé à la croissance des entreprises, l’activité de recrutement doit dépasser une gestion opérationnelle et minimaliste des risques.

Le recrutement doit passer la porte des comités de direction et des conseils d’administration pour devenir une composante à part entière de leur stratégie et produire aussi des opportunités.

Le recrutement, une gestion multirisques par l’expert-recruteur

Le départ prématuré d’un nouveau collaborateur, quels qu’en soient la cause et le décideur, est « LE » risque de recrutement auquel tout le monde pense spontanément.

C’est effectivement un risque critique :

  • Il est fréquent cf. les études disponibles,
  • Il est hautement impactant cf. les ressources consommées et les effets sur l’entreprise et les équipes,
  • Il est difficile à déceler (sauf si la décision est prise par défaut, la prise du risque est connue).

En pleine bataille des talents, l’autre risque critique du recrutement est de ne pas recruter, faute de profils adéquats ou d’atouts pour les attirer.

Dans les faits, une multitude de facteurs de risques internes et externes jalonnent un processus de recrutement. J’en ai décompté spontanément une vingtaine, les plus évidents de la définition du besoin et du profil à la signature du contrat d’embauche.

Un service de recrutement, ce serait un peu l’agence tous risques !

« La dernière chance au dernier moment », aussi parfois ;).

Pour faire face à cette multitude de risques difficiles à rationaliser et à maitriser, le remède repose sur la logique de l’expert-recruteur, externe (le cabinet) ou interne (la fonction recrutement).

Les compétences et l’expérience de l’expert-recruteur sont supposées limiter les risques.

Tant que le contexte d’emploi était relativement standard et récurrent en termes de besoins poste/profil et plutôt favorable en termes d’offres /demandes, la solution de l’expert-recruteur a plutôt bien fonctionné.

Puis l’environnement de recrutement et les besoins des entreprises ont changé. La mondialisation et les innovations technologiques ont chamboulé les composantes et les repères de recrutement, à l’instar de l’économie et de la société. L’expertise du recruteur ne suffit pas à garantir les résultats.

La probabilité des risques de recrutement et leurs impacts potentiels varient en fonction d’une infinité de combinaisons : le poste, le recruteur, l’entreprise, le manager, la période, le délai, les marchés du travail, la concurrence, etc.

Le digital a pris le relais pour tenter « d’augmenter » l’expert-recruteur.

Le digital pour limiter les risques de recrutement

Internet et l’essor des réseaux sociaux ont ouvert la voie à de nombreuses propositions pour sécuriser les démarches de recrutement. Transformation et digital : Innovation, progrès ou opportunité ? Une histoire de grenouille…

Le postulat ou le constat repose sur le fait que les risques d’erreur, d’échec ou de vide 😉 dans les démarches de recrutement sont dues à l’intervention humaine de l’expert-recruteur, du manager, du candidat, et à l’adaptation au marché du travail.

Les innovations de recrutement mobilise le numérique pour limiter et encadrer les interventions humaines par l’automatisation et les systèmes experts : multiposting des offres, recommandation de profils, ATS pour trier les CV, outils de scoring et matching pour sécuriser l’évaluation des compétences métiers et d’une multitude d’attributs personnels, règles relatives à la législation intégrées dans le système, etc.

Et le candidat subit le même sort que l’expert-recruteur ou le manager-recruteur. 

Le candidat entre aussi dans des procédures supposées réduire les risques. On dit souvent que le recrutement s’est professionnalisé. Les candidats vous diront aussi qu’il s’est complexifié !

Selon l’état de l’offre et de la demande, ces procédures sont plus ou moins bien marketées pour les faire mieux accepter par les candidats : promesse de réduire le risque pour le candidat, promesse de personnalisation et de réactivité, promesse aussi de plaisir, de fun, de jeu…

Faute de données précises contextualisées, il est bien difficile de savoir si l’automatisation et la socialisation du recrutement de ces 20 dernières années ont réellement permis de mieux maitriser ou de réduire les risques d’erreur et d’échec en matière de recrutement. En France, les recruteurs ne parviendraient pas à pourvoir chaque année environ 300 000 postes, et 1 recrutement sur 2 ou sur 3, selon les études, se solderait par un échec.

Demain, lorsqu’ils seront au point, des algorithmes plus performants et l’intelligence artificielle apporteront probablement de nouvelles approches et outils pour continuer à sécuriser le recrutement, au-delà du sourcing et de l’évaluation : définition des besoins de recrutement, ajustement au marché, score d’attractivité de l’entreprise ou de réussite de l’embauche et de l’intégration, etc.

Mais cet appariement du recrutement et l’évolution des savoir-faire des recruteurs et des managers (auxquels toutes les entreprises et tous les recruteurs n’accèdent d’ailleurs pas) seront insuffisants pour que les entreprises réussissent leurs recrutements et détiennent une activité de recrutement structurellement performante.

La performance du recrutement, un sujet de gouvernance

Les difficultés de recrutement qui bruissaient lorsque le marché du travail était atone, sont aujourd’hui exprimées par toutes les entreprises comme un enjeu stratégique, comme un frein à leur développement, à l’innovation, à l’adaptation de leur entreprise, etc.

Paradoxalement, lorsque vous rencontrez des recruteurs, par exemple lors des ateliers Tru organisés en France par LinkHumans, vous constatez que les responsables ou chargés de recrutement sont en mode production, en posture très opérationnelle, disposent de peu de moyens, ont une vision réduite des enjeux ou de la stratégie de leur entreprise (ou pire ils ne sentent pas concernés).

Puisque le recrutement est une activité stratégique et risquée, qui peut entraver la réussite d’un plan de développement, les directions d’entreprise et les conseils d’administration devraient davantage l’intégrer dans leurs travaux.

Pour réussir les recrutements et construire une activité de recrutement performante, il ne suffira pas de trouver le nouveau « Batman » de votre recrutement, un nouvel expert, même « augmenté » par les technologies.

En lien avec les objectifs de l’entreprise et les besoins en compétences, une stratégie de recrutement doit être pensée, anticipée, dotée et pilotée. L’activité de recrutement a également besoin d’un écosystème, construit et enrichi par les collaborateurs, les managers et la gouvernance.

En lien direct avec les enjeux de recrutement, des décisions majeures peuvent être prises par un board :  externalisation de certaines activités, création d’une entité dans un autre territoire, rachat d’une structure possédant les compétences difficiles à attirer, participation à des filières de formation, partenariats avec d’autres entreprises, d’autres formats contractuels, etc.

Traité en corollaire du management des talents dans les grands groupes, au cas par cas dans les PME, le plus souvent comme un sujet à part entière dans les startups et les entreprises de croissance, le recrutement devrait faire l’objet d’une attention spécifique des directions d’entreprise et des actionnaires.

Et ce, d’autant plus que les évolutions économiques en cours et la transformation du travail vont les conduire dans les années à venir à prendre des décisions stratégiques et organisationnelles structurantes (intelligence artificielle, robotisation, responsabilité sociale de l’entreprise, etc.).