Par la logique de la mise en réseau, le numérique transforme la gestion de la relation dans de très nombreux domaines. Et le numérique transforme une composante clé du management : la relation.

Il est inexact de dire que le numérique transforme le management comme le reste d’ailleurs. Il est une opportunité d’innovation, et surtout de progrès, dont les acteurs de l’entreprise doivent se saisir pour adapter le management.

Par une nouvelle gestion de la relation par les managers et les collaborateurs, le numérique peut-il contribuer à améliorer l’efficacité managériale, tout en l’adaptant aux nouveaux enjeux Business et RH des entreprises ?

Peut-il contribuer à redéfinir l’intention managériale et mieux la faire vivre (accepter) auprès des managers et des managés ?

Les normes du code informatique vont-elles se substituer aux normes de l’organisation hiérarchique ? Pour quels bénéfices ?

Le management, une relation cadrée

Manager une équipe ou un collaborateur, c’est avant tout « gérer » une relation entre des personnes, au-delà des techniques, principes ou pratiques de management.

La relation managériale a ses particularités. Elle nait et se développe (s’arrête aussi) :

  • dans un contexte de travail (labeur)
  • dans un cadre posé : l’entreprise, son projet, ses ressources, ses règles, ses contraintes…
  • autour d’objectifs à atteindre ensemble
  • autour d’un statut, un rôle, une mission… contractualisés
  • avec des temps et des proximités qui varient selon l’activité et les personnes.

La relation managériale se construit dans un cadre organisationnel et juridique, dont elle s’émancipe régulièrement.

Même si le management a beaucoup évolué depuis Taylor (cf. management participatif, gestion par projet, leadership, etc.), il reste largement associé, pour les collaborateurs et les managers, à la relation hiérarchique (top down, command & control).

Les 13 impacts du numérique sur la gestion de la relation

J’ai relevé 13 impacts du numérique sur la gestion de la relation (merci de les compléter en commentaire).

1- Dématérialisation de la relation (globale ou partielle) via des interfaces, applications, robots…

2- Réduction des intermédiaires au bénéfice d’une relation directe,

3- Elargissement des espaces (cloud, mobilité) et des temps relationnels (réactivité),

4- Mise en réseau et connexion permanente,

5- Disponibilité des ressources

6- Massification des relations de partage et des interactions par les réseaux et plateformes,

7- Nouvelles proximités suggérées (recommandation, notification, matching, prédiction…),

8- Nouvelles formes de socialisation et d’apprentissage, structurées par le code, les algorithmes…

9- Conversion des interactions en données, et de ces données en suggestion de nouvelles interactions,

10- Transformation de la relation en une nouvelle unité de mesure (cf. marketing, identité sociale et socialisation, influence, employabilité …),

11- Valorisation financière de la relation et des données ainsi générées (lead, cooptation, influence, etc.)

12- Innovation permanente des modes relationnels (nouvelles technologies, nouveaux outils, nouveaux usages des technologies et outils)

13- Emotionnalisation de la gestion de la relation : plaisir, expérience, ludification/gamification pour renforcer la relation, fidéliser, retenir, et aussi humaniser la dématérialisation.

 

En résumé, le numérique repose sur des propositions attractives pour les personnes :

– Faciliter (vite, mieux), simplifier, anticiper les besoins, soutenir, donner accès, laisser à disposition,

– Ouvrir l’horizon, ouvrir des champs d’action, varier, donner du choix, renouveler, surprendre,

– Valoriser l’individu et les collectifs,

– Donner une utilité « professionnelle » à la relation (revenus, travail)

– Mobiliser les émotions pour stimuler le partage, l’apprentissage, la confiance, la fidélité, l’empathie, le plaisir, le jeu…

Comment le numérique presse le management

Qui refuserait une relation manager-managé facilitante, simple, flexible, ouverte, réactive pour réussir son travail, et enrichissante, empathique, fun pour mieux vivre son travail ? Nous retrouvons là les besoins et les attentes qu’expriment actuellement les salariés au regard du management et plus largement de l’organisation du travail et de l’ambiance au travail.

En modifiant chaque composante de la relation managériale, le numérique presse naturellement le management à se transformer :

– le contenu du travail des collaborateurs aux dirigeants est modifié. Chacun doit aussi faciliter, simplifier, renouveler, surprendre, dématérialiser, mettre à disposition, , transformer des relations et des données en valeur commerciale, mobiliser les émotions, etc.

– Le cadre de l’entreprise devient plus flou, s’élargit, se diversifie comme son projet et les ressources mobilisables. C’est l’effet réseau, innovation et écosystème amplifié par le digital.

– Les objectifs à atteindre ensemble sont moins assurés, le court terme prend le pas sur les grands chantiers, la réactivité créative à tout mouvement de l’environnement est prépondérante pour créer ou maintenir l’avantage concurrentiel…

– Les statuts et les rôles sont plus variés, ouverts, accessibles sur le marché du travail, et ils se renouvellent plus vite dans l’entreprise au gré des objectifs, des projets et des évolutions organisationnelles.

– Les temps et les proximités relationnelles alternent sous de nouveaux formats : travail individuel en interface avec les machines, collaboration à distance, télétravail, réseau social interne, intelligence collective, droit à la déconnexion, etc.

– Les rapports non explicites sont formalisés par les outils informatiques (droits, profils, fonctionnalités… ) ou par la structure et les codes propres aux réseaux (community manager, follower, commentaire, influenceur…)

La puissance de transformation de la vague numérique réside dans le fait qu’elle n’engloutit rien sous son passage. Elle inonde l’existant, l’imprègne, le mute, l’amplifie parfois, le redessine et le remet transformé à disposition sur le rivage. Le numérique nous pousse à innover et à être créatif.

Néanmoins, avant de foncer tête baissée dans une nouvelle mode managériale convertie aux technologies, usages ou culture numériques, on peut s’interroger sur l’innovation très normative du code informatique.

Le numérique impose ses codes à l’entreprise

Le numérique apporte ses réponses aux 3 principales attentes envers le management dit hiérarchique ou bureaucratique :

  • le partage (ou l’absence de partage)
  • l’efficacité (ou l’absence d’efficacité)
  • la personnalisation à l’individu et au groupe (ou l’absence de personnalisation),

traduites selon les personnes et le contexte, par : l’autonomie, la flexibilité, l’expression, la contribution, l’influence, l’apprentissage, la compétence, la ressource, le vivre ensemble, la convivialité, le respect, la reconnaissance, la valorisation, l’équité, la confiance… la réussite, l’employabilité individuelle, etc.

Les jeunes entreprises du numérique et les startups se sont érigées en modèle de ce management « digital », « social », au sens collaboratif et communautaire, avec toutes les réserves qu’on peut y apporter en phase de croissance.

L’activité numérique est fondée sur une relation de partage dynamique. Mais c’est un partage codé, normé, réglé, comme peuvent l’être les choix et pratiques d’organisation d’une direction d’entreprise ou d’un manager.

L’activité numérique repose sur la promesse d’une plus grande efficacité économique avec un travail facilité : la simplicité rompt avec la complexité de l’approche gestionnaire et structurée ; l’automatisation et le gestionnaire de tâches améliorent la productivité et facilitent le travail… Sous l’ergonomie et le design attractifs et un discours bienveillant, les boites noires du numérique sont nombreuses (code, argument, objet, corrélation, algorithmes, prédiction, etc.). Tout autant que peuvent l’être un comité de direction pour un salarié, ou les personnalités d’un manager ou d’un collaborateur.

L’activité numérique repose sur la promesse de la personnalisation dans un grand libre service. Cette personnalisation et ces ressources ont des contreparties qui commencent aussi à déranger : partager ses relations, ses activités, ses données, ses vies… et les confier à un système dit intelligent qui notifie, suggère, guide. Comme le ferait un manager, lors d’un entretien d’évaluation ou un entretien professionnel…

D’un point de vue du modèle économique comme d’un point de vue social et culturel, le numérique impose ses codes à l’entreprise.

A l’image de la vague qui remet sur le rivage, c’est à l’entreprise de se reconstruire autrement pour en tirer partie économiquement et mieux répondre au nouveau rôle social qui lui est attribué cf. Loi PACTE.

Pour certains, la mise en réseau des travailleurs pourrait tout simplement faire disparaître la structure d’entreprise. Je note toutefois qu’à ce jour, Google, Amazon et même Uber, fers de lance de l’industrie numérique, restent des organisations « traditionnelles ».

Le numérique risque d’abattre les codes et les règles formelles et informelles du corps social de l’entreprise pour lui substituer les siennes. Et il n’est pas certain que la relation managériale en sorte « enchantée » comme on aime le dire.

C’est toute la différence entre innovation et progrès.

Lire à ce sujet le très bon article : Storytelling And The Technological Nothing

Comment transformer le management

Par une position souvent défensive face aux bouleversements économiques amenés par la mondialisation, et une structuration centrée sur la gestion des ressources et des risques, l’entreprise a négligé autant la ressource humaine que la relation humaine.

Avec le Web, les développeurs nous ont rappelé la puissance d’action, de motivation et d’innovation de la relation au sein d’un collectif qui aide autant qu’il responsabilise

Un collectif qui émancipe pour mieux mobiliser comme le souligne cet article du Monde sur la démocratie en entreprise.

La nouvelle intention du management se niche probablement dans ces deux mots : émanciper pour mobiliser.

Les collaborateurs comme les managers et dirigeants peuvent se retrouver autour de cette nouvelle intention managériale qui leurs intérêts et besoins communs et respectifs.

Et on pourrait aller plus loin en l’appliquant à l’ensemble des relations de l’entreprise, son écosystème (freelance, fournisseur, etc.).

Le « washing » numérique pour faire progresser le management peut s’arrêter là.

Les aspirations des salariés envers le management et les nouveaux modèles économiques tendent en effet à fuir ce qu’induit aussi le code informatique : la hiérarchisation, la structuration, les décisions froides dictées par les chiffres et les calculs, l’influence relative, les comportements notifiés, une personnalisation qui rend narcissique, la transformation des individus en objet ou agent d’expérience, etc. etc. (cf. les critiques croissantes envers les pratiques des GAFA et les projets de régulation, voire de démantèlement…).

L’innovation en management et donc son adaptation à la nouvelle donne économique et sociale repose au fond sur le fait de :

reconsidérer le management sous l’angle la relation managériale, et non plus sous l’angle de pratiques gestionnaires,

donner à la relation managériale toute sa place et du temps, et la compléter par les apports des technologies et des données, et non l’inverse. 

Pour faire progresser le management au sens de son efficacité économique et sociale et mieux le faire vivre par les collaborateurs et les managers, chaque entreprise peut conduire la démarche suivante :

  • identifier la nature des relations entre managers, collaborateurs et dirigeants dans toute l’entreprise, à titre individuel et global,
  • travailler avec les salariés sur les attentes des clients et leurs attentes en terme de relation et de collaboration, c’est un des avantages concurrentiels en terme de vente, de recrutement et de rétention des talents. Vous serez peut-être surpris de constater à quel point la RH rejoint le business…
  • identifier les dispositifs ou outils à mobiliser pour soutenir la concrétisation des changements,
  • imprégner toute l’organisation, au-delà de la relation managériale, des valeurs qui émergent.

Il nous revient de doser les technologies et d’orienter leurs usages pour que la relation humaine (et la relation avec l’environnement naturel aussi) soit le moteur du progrès, en management comme dans les autres domaines.

Et ça, c’est seulement de l’humain 😉