Engagement, collaboration, attention, intelligence collective, citoyenneté… Ces mots très connotés « transformation » du management et des organisations ressortent à l’occasion de cette pandémie dévastatrice, des souffrances qu’elle apporte, des crises qu’elle génère.

Comme si ces maux redonnaient du sens et de l’utilité aux « mots du travail ». Comment l’expliquer ?

 

Les maux du travail

Depuis de très nombreuses années, la relation d’emploi et le travail lui-même sont malmenés sous les effets cumulés de crises conjoncturelles et structurelles, auxquelles la financiarisation des économies n’est pas étrangère. Et l’intégration plus aboutie du numérique ou de la robotique interroge sur leur évolutions à venir…

Les entreprises constatent chez les collaborateurs une baisse de l’implication et de la confiance, une recherche de sens dans le travail et dans l’appartenance à l’entreprise, une relation distanciée, une plus grande volatilité, etc. Ces tendances s’accompagnent par ailleurs d’une recrudescence de maux physiques, psychologiques, émotionnels. Le nombre de burn-out, le taux d’absentéisme ou de turnover en sont froidement les indicateurs.

 

Les mots du travail

A la faveur d’une transformation digitale qui tombe à point nommé (j’ai toujours aimé penser que ce n’était pas un hasard), la gestion de l’information, des connaissances, des relations, les organisations, le management… sont appelés à muter pour répondre à la fois aux besoins économiques et sociaux. Pour une fois, il semblerait y avoir un alignement (fragile) des planètes entre les actionnaires et les collaborateurs, comme nous le soulignons dans notre essai Pour en finir avec les RH demain… Partie 3 : Du travail et des Hommes.

Guerre des clients et guerre des talents conduisent à se pencher sur la satisfaction des collaborateurs, leur motivation au travail, leur expérience de travail et de l’entreprise (leurs émotions), leur capacité d’innovation, leur autonomie, leur « engagement »… Guerre des clients, guerre des talents et émergence rapide de paquebots ou de corvettes du numérique poussent les entreprises à adapter leur organisation et leur management. Aux maux du travail répondraient l’intelligence collective, la collaboration élargie, la coopération soignée, la citoyenneté organisationnelle, etc.

 

Des similitudes troublantes 

Les actions d’adaptation à la situation de pandémie actuelle et la recherche de solutions aux problématiques multidimensionnelles qu’elle pose mobilisent des pratiques et des valeurs largement promues en matière de management et d’organisation des entreprises ces dernières années.  Notamment dans le contexte de transformation des entreprises pour tirer parti du digital, pour satisfaire les attentes des consommateurs en matière de responsabilité sociétale ou encore pour répondre à cette bataille pour les talents…

Qu’il s’agisse de recherche médicale, de mobilisation des professionnels qui assurent les travaux vitaux pour tout un pays, de management à distance, de recherche d’alternatives commerciales, marketing, techniques, organisationnelles, etc. les maitres mots de cette situation de crise sont : engagement, citoyenneté, intelligence collective, coopération, collaboration, adaptation, innovation, etc. etc. En somme, les mots du travail.

Ces mots du travail semblent reprendre du sens et du service dans une période où les maux humains physiques, psychologiques, émotionnels ne sont plus seulement ceux du travail et des organisations, mais ceux de tout un pays, de familles, de personnes, de vies… Les maux de l’humanité semblent redonner du sens et de l’utilité aux mots du travail. Comment expliquer cette convergence des réponses, cette similarité de réponses ?

 

Quelques hypothèses 

– Existe-t-il une similarité entre les pratiques de gestion d’une crise sanitaire aigüe qui s’étend à l’économique et au social, et les pratiques d’adaptation à une transformation globale sous l’effet d’innovations rapides, qui se cumulent avec des changements antérieurs ?

A ce sujet, il est intéressant de relire la définition à l’origine médicale du mot crise : « ensemble des phénomènes pathologiques se manifestant de façon brusque et intense, mais pendant une période limitée, et laissant prévoir un changement généralement décisif, en bien ou en mal, dans l’évolution d’une maladie ». On pourrait en déduire que la révolution digitale était une révolution douce, qui ne portait pas (encore) de crise ? Juste une mutation, qui n’était finalement pas si véloce en comparaison de ce virus…

– Le degré de numérisation de notre société (relativement moyen), et donc la mobilisation de ce type de ressources pour solutionner la situation critique sur le plan sanitaire, économique, sociale, engendre-t-il le recours à des pratiques d’organisation et de collaboration assimilées (peut-être excessivement) au digital ces dernières années ?

– S’explique-t-elle par les ruptures qu’engendrent les deux évènements ? Le virus semble être beaucoup plus VUCA* que le digital lui-même.

– Cette similarité s’explique-t-elle par la nature humaine des causes, des enjeux et des solutions dans les deux cas ? C’est cette dernière explication que je retiens personnellement.

 

Les actions d’aujourd’hui à prolonger demain

Depuis quelques jours, de nombreuses réflexions sont partagées sur l’après-crise. Entre tout ou rien redeviendra comme avant et tout ou rien va changer… dans le monde, dans le pays, dans les territoires, dans les foyers, dans les entreprises, dans le travail… Chacun y va de son sentiment, avis, envie, souhait.

« Déporter le débat sur le monde d’après traduit une incompréhension de ce que nous vivons et nous détourne de l’action pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui » Philippe Silberzahn

Grandis, cabossés, affaiblis, renforcés, déterminés ? Chaque personne et chaque système social sortiront pas du tout, un peu ou beaucoup transformés de ces crises sous l’effet de leurs choix et actions d’aujourd’hui et de demain. Si crise il y a ? C’est-à-dire une pression forte sur une période limitée…

Saurons-nous nous rappeler par des temps plus paisibles que les maux d’aujourd’hui, déjà présents hier, seront probablement aussi là demain dans le quotidien du travail, même sans crise générale ?

Etes-vous, vous aussi, interpellé.e par cette similarité des discours ? Comment l’expliquez-vous ?

 

*VUCA : velocity (rapidité), uncertainty (incertitude), complexity (complexité), ambiguity (ambiguité)