Cet article sur la rémunération des softskills m’a été inspiré par l’exigence cumulative de compétences techniques et comportementales qui s’exprime à l’égard des candidats et des collaborateurs dans les offres d’emploi. Et le décalage entre compétences exigées et rémunérations proposées (notamment pour les métiers du digital mais pas seulement).

Comment interpréter cette tendance ?

Par ailleurs, le discours injonctif actuel, sur la détention de certaines softskills comme rempart à la disparition ou à la reconversion de son emploi , face aux activités prises en charge par les intelligences artificielles, pose la question de leur valorisation financière dans les nouveaux modèles économiques qui se dessinent.

Les softskills sont-elles des compétences qui paient ou pas ? Les softskills sont-elles des compétences qui paieront demain ou pas ?

Comment nos comportements sont devenus des compétences ?

Les traits de personnalité, les aptitudes personnelles et les comportements professionnels ont toujours été des éléments d’évaluation et de sélection lors d’un recrutement ou d’une mobilité interne, en complément des compétences techniques.

Ils servent à apprécier l’exercice singulier du métier, donc la compétence métier d’une personne. Ils aident aussi à projeter l’intégration dans l’équipe et l’entreprise.

Remplacés par la notion de softskills, ces savoir-être personnels intégrés à la compétence métier se sont progressivement élargis et transformés en compétences distinctes du métier, en compétences transverses.

Dans les années 90, la gestion de relations interculturelles était en vogue dans le contexte d’internationalisation des entreprises. Actuellement, le numérique promeut des compétences relationnelles, émotionnelles ou cognitives comme le sens de l’initiative, l’aptitude à la collaboration, la créativité, l’ouverture, l’adaptation, l’écoute, la remise en question, l’auto-apprentissage, etc.

On comprend bien que tout le tintamarre sur les softskills et la pression qui s’exerce sur les salariés et les futurs salariés expriment les besoins en compétences des entreprises face aux transformations induites par le numérique.

Les besoins d’adaptation et de transformation des modèles économiques et productifs poussent les entreprises dans une stratégie d’acquisition de compétences collectives évolutives, relevant principalement aujourd’hui de la culture numérique et de la culture entrepreneuriale.

Les softskills recherchées actuellement favoriseraient :

  • L’expérience et la satisfaction des clients dans le cadre d’une relation gérée par des interfaces numériques,
  • Les collaborations humaines compensant un environnement technologique de travail, froid et rythmé par le code informatique, les données, les métriques…
  • Les complémentarités disciplinaires compensant un travail morcelé et complexe,
  • Les innovations passées au filtre de l’intelligence collective,
  • L’apprentissage continu de nouvelles compétences métiers.

Derrière les envolées du discours, quelques remarques :

  • Comme la notion de compétence, la notion de softskills n’est pas bien maitrisée par les recruteurs, les managers et les RH. Et leur définition comme leur identification n’est pas un processus rodé, même avec l’aide de tests.
  • La place prépondérante, ou pas, accordée aux softskills dans la décision de recrutement ou de mobilité interne varie en fonction des métiers et des entreprises (cf. capacité à former aux compétences métiers pour les entreprises qui disent recruter à partir des softskills).
  • Si les softskills sont des compétences à part entière, cela signifie qu’elles sont observables, qu’elles s’acquièrent et se développent par l’apprentissage et l’expérience professionnelle.

Enfin si les softskills sont des compétences valorisées par les entreprises, comment sont-elles prises en compte en matière de rémunération ? Sont-elles aussi valorisées financièrement ?

La rémunération des softskills ?

Je n’ai trouvé sur ce sujet qu’une étude datant de 2016 publié par le Cereq au sujet de l’effet softskills sur les rémunérations des jeunes diplômés.

Je vous livre donc mon analyse issue de mon expérience.

Pour les jeunes diplômés, la prise en compte des softskills dans la rémunération peut se faire indirectement via la nature et la réputation de la formation initiale. Donc du diplôme et de l’organisme qui le délivre. De nombreux organismes de formation initiale ont revu ces dernières années leur parcours et leur pédagogie pour mieux développer les softskills attendues par les entreprises.

La valorisation financière des softskills dans la rémunération peut intervenir plus directement, si la formation s’est accompagnée d’une pratique terrain (alternance) et d’expériences diverses, e.g. associatives. Les résultats obtenus et les conditions de leur réalisation peuvent révéler les compétences comportementales recherchées. Ces dernières vont favoriser la décision de recrutement. Elles n’auront pas d’influence directe sur le niveau de rémunération proposée, compte tenu des référentiels de rémunération des entreprises.

Pour un salarié en poste, la détention de softskills adaptées aux enjeux de l’entreprise fait généralement la différence au regard de la performance et des modalités de cette performance. C’est la reconnaissance financière de la performance qui valorise indirectement les softskills mises en œuvre.

C’est aussi à travers la mobilité, l’évolution du rôle et des missions confiés, que se valorisent ces compétences relationnelles, émotionnelles, cognitives.

Contrairement aux compétences techniques, les softskills ne sont donc pas directement valorisables et valorisées d’un point de vue financier aujourd’hui. 

Qu’en sera-t-il demain ?

Avec l’essor de l’intelligence artificielle, les softskills sont présentées comme les incontournables de l’employabilité future et de la promesse d’un job bien plus intéressant et enrichissant intellectuellement ;-). Seront-elles alors plus directement valorisées dans les rémunérations ?

Intelligence artificielle, nouveaux modèles économiques et rémunération ?

J’aime prendre l’exemple du métier de chargé de clientèle, carnous ne sommes pas dans la prospective.

Dores et déjà, de nombreuses entreprises utilisent des systèmes experts, plus ou moins sophistiqués, et réorganisent en conséquence les services clients.

Le nouveau modèle de production est le suivant : les outils d’automatisation prennent en charge les réponses à toutes les questions standards, généralement après une phase d’entraînement par les chargés de clientèle, pour enrichir la base de connaissances de l’outil et ajuster les algorithmes.

Les chargés de clientèle prennent en charge les clients qui ont des questions plus complexes, plus spécifiques, plus conflictuelles aussi.

Auparavant les chargés de clientèle étaient rémunérés pour :

  • leurs compétences à appliquer des scripts et à s’adapter à des situations variables, de simples à complexes. Ces compétences relevant pour une large part de softskills : qualité relationnelle et de communication, adaptation relationnelle et technique, écoute, empathie, maitrise des émotions, résilience, assertivité, etc.
  • leur production qui englobait le traitement des questions standards et des questions complexes,
  • leur performance au regard d’un certain nombre de critères comme le taux d’appels décrochés, le nombre de demandes clôturées, la satisfaction client mesurée par des questionnaires, le taux de rétention client, l’upsell, etc.. Ces performances sont généralement valorisées par une rémunération variable complémentaire.

Les dirigeants de ces entreprises peuvent alors suivre différents raisonnements :

  • L’outil absorbant la charge de travail relative aux questions standards, le nombre de chargés de clientèle est diminué.
  • Le temps de travail des chargés de clientèle libéré par le chatbot va permettre traiter plus et mieux les questions spécifiques des clients. 
  • et/ou le temps de travail des chargés de clientèle libéré par le chatbot va permettre de donner de nouvelles missions aux chargés de clientèle, en logique de nouveaux services ou de reconversions professionnelles.

Les décisions seront prises en fonction de plusieurs critères :

– la qualité actuelle des services aux clients, les objectifs d’améliorations,

– le coût et la rentabilité du service client, la performance financière de l’entreprise à court et moyen terme,

– le montant de l’investissement technologique et le retour sur cet investissement…

Dans les 3 scenarii, les chargés de clientèle vont davantage traiter les questions complexes, spécifiques, plus diversifiées et aléatoires.

En conséquence, ces professionnels de la relation clients devront renforcer leurs compétences techniques relatives aux fonctionnements des outils technologiques, aux produits et au marketing produits, aux conditions de vente et de promotion, etc. Ils devront éventuellement développer de nouvelles compétences métier dans le cas d’un élargissement des missions.

Ils devront aussi renforcer leurs softskills, notamment l’adaptation, l’écoute, la résilience, etc. Et développer les nouvelles compétences comportementales que peuvent induire les nouvelles missions.

Tout particulièrement dans les scénarii 1 et 2, les salaires de base de ces chargés de clientèle évolueront-ils en prenant en compte que leur niveau de technicité et leur niveau de responsabilité se sont accrus, que le niveau des softskills à mettre en oeuvre s’est accru ?

Comme évoqué lors du AI Summit de l’INSEEC de mai 2018 relative à l’intelligence artificielle, les stratégies et les choix économiques et sociaux de chaque direction d’entreprise impacteront directement l’évolution des métiers, des emplois, du marché du travail et des rémunérations :

  • réduction des coûts,
  • réinvestissement ou pas des gains de productivité s’ils sont avérés,
  • recyclage ou pas des emplois et capacité à former,
  • capacité à vendre les « nouvelles valeurs ajoutées humaines » pour accroître les marges et/ou le CA…

La responsabilité sociale des entreprises prend pleinement son sens.

Il est sans aucun doute nécessaire de se préparer individuellement (et avec du soutien) à une évolution profonde du contenu du travail, des métiers, des organisations, des parcours professionnels, du marché du travail. De rester en veille et d’adapter ses compétences techniques et comportementales…

En revanche, les exigences envers les actifs me paraissent décalées : compétences à détenir, multiplication des démarches pour un recrutement, liberté de choisir son avenir professionnel… Ces exigences ne sont pas en adéquation avec :

  • les cartes que les gens ont réellement en mains,
  • la réalité présente et à venir des changements,
  • la transition qui va s’opérer (même si elle est rapide).

La transformation des métiers et des entreprises, qui en découlera, sera humainement et collectivement viable, ou ne sera pas.