« La génération Y, pas assez travailleuse ni motivée, selon les responsables RH » titré le site Terra Fémina la semaine dernière, suite à une enquête (US) pointant les différences d’appréciation entre les jeunes et les professionnels des entreprises.

Les accompagnements d’étudiants et jeunes professionnels, les cours animés, nos interventions en entreprises ne nous conduisent pas à cette conclusion, peut-être trop générale sur le comportement des jeunes en entreprise. En revanche, la divergence d’appréciation entre les jeunes et les responsables d’entreprises nous semble révélatrice des lacunes et des conditions de leur «professionnalisation», dans le sens de leur formation, de leur initiation au monde du travail, de leur socialisation par et dans l’environnement professionnel.

la professionnalisation.

Une généralisation peu pertinente

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Entre

  • un jeune qui n’a aucune qualification professionnelle, à laquelle s’ajoute parfois une éducation familiale défaillante,
  • un jeune qui se professionnalise dans une succession de contrats précaires, dans sa qualification initiale ou pas,
  • un jeune diplômé d’une grande école qui a acquis plus de 18 mois d’expérience en entreprise à la faveur de stages plus ou moins formateurs,

L’engagement de ces jeunes professionnels dans le travail varie nécessairement, compte tenu de leurs conditions d’apprentissage des pratiques et comportements au travail. Il varie aussi à l’intérieur de ces segments.

 

Si nous parlions de professionnalisation et moins d’employabilité

 

On parle beaucoup d’employabilité aujourd’hui. On parle moins de la professionnalisation des individus, dans le sens de l’initiation/éducation/formation aux comportements en milieu professionnel et aux règles de vie au travail.

La famille, le système éducatif et l’entreprise sont en retrait sur la question de la professionnalisation des jeunes.

– L’évolution des modèles familiaux, la mobilité professionnelle, la mobilité géographique, l’évolution des métiers, l’ascenseur social, les difficultés d’emploi, etc. aboutissent à un moindre transfert de connaissances du monde du travail au sein des familles, et à une moindre proximité professionnelle qu’il y a quelques décennies, même s’il existe encore des dynasties de boulangers ou de médecins…

– Le système éducatif de son côté est encore trop coupé du monde du travail ou en décalage, pour contribuer à la connaissance et à la préparation de l’environnement professionnel, en dépit de l’intégration massive de stages ou de période de professionnalisation.

– Quant aux entreprises, elles semblent désengagées de leur mission de professionnalisation, ou impuissantes à rattraper ce que les autres contributeurs, la famille et l’école, n’ont pas réussi.

Souvent par manque de ressources mais aussi par choix, les entreprises semblent préférer recruter des professionnels formés ailleurs, plus directement opérationnels (ce qui alimente à la guerre des talents et les difficultés de recrutement) ou utiliser ces jeunes comme des ressources de production à court terme (stages et même contrats de professionnalisation). Combien de stages ou de contrats de professionnalisation sont réellement professionnalisants ?

Les lacunes ou l’absence d’initiation et de transmission de repères professionnels auprès des jeunes ne favorisent pas leur connaissance de la relation sociale au travail et le développement des comportements attendus dans la vie professionnelle.

Elles peuvent effectivement aboutir à un choc de culture qui se traduit par des difficultés d’adaptation, un vécu négatif du travail, etc.

Si on ajoute à ces éléments structurels, les effets d’une crise économique et les messages véhiculés directement ou indirectement par les familles, l’école ou les médias, les conditions pour que les jeunes abordent le travail avec un écart de représentation sont réunies… En sens inverse également. L’enthousiasme pour certains métiers placés sur les projecteurs par les médias peut aussi conduire à ce décalage entre l’image donnée et le quotidien constaté…

 

Des références professionnelles qui s’acquièrent aussi ailleurs… sur Internet

 

Les médias sociaux constituent un autre espace de professionnalisation pour les jeunes, et pas seulement pour les jeunes.

Leurs comportements professionnels sont influencés par les expériences et les apprentissages qu’ils réalisent, souvent à titre personnel d’abord, puis professionnellement notamment à l’occasion d’une recherche de stage ou d’un premier emploi.

Pour une minorité d’entre eux, ces apprentissages professionnels relèvent d’une appropriation individuelle, par affinité ou par sens de l’opportunité. Pour un grand nombre, ils sont guidés et influencés par les pratiques et les partages d’expériences de certains de leurs congénères et de professionnels plus expérimentés, d’autres générations … par les propositions technologiques et d’usages des entreprises du secteur aussi...

La veille et les recherches d’informations conduites individuellement ou en collaboration, l’auto-apprentissage, le networking online et offline, la possibilité de s’exprimer sur tous les sujets s’ils le souhaitent, d’interagir avec toutes les personnes quelle que soit la position, la variété des activités et des supports disponibles à tout moment et en tout lieu, l’attrait pour l’entrepreneuriat et la culture start up… : la pratique du Web permet d’acquérir des connaissances et des savoir-être utiles dans le monde professionnel Les réseaux sociaux un espace d’apprentissage quel que soit leur devenir

En revanche, la pratique du Web et des réseaux sociaux apporte probablement des repères partiels, encore en décalage avec les pratiques professionnelles des entreprises, avec les compétences et comportements demandés ou nécessaires dans un emploi classique, hors les métiers du Web, et encore…  (Les métiers du Digital vous attirent ? Savez vous pourquoi ?)

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Internet et les réseaux sociaux constituent un nouvel espace de professionnalisation et de socialisation, avec cependant une évolution marquée par deux temps, selon nous :

– Une première période : les pratiques individuelles, plutôt au sein de communautés restreintes, étaient majoritairement déconnectées de l’entreprise. D’où le décalage souvent relevé dans les attentes et les relations entre les jeunes salariés et les employeurs. Un décalage qui a eu le mérite d’interpeller, questionner et d’en faire évoluer certaines…

– Une seconde période (actuelle) : plus de personnes et d’entreprises s’approprient à leur tour cet espace et y importent autant leurs pratiques et leurs objectifs « traditionnels » qu’ils tentent d’en retirer les innovations, les nouvelles compétences ou encore les nouveaux usages qui leur sont utiles. Il me semble qu’on assiste actuellement à une influence croissante des entreprises sur le Web.

Cette situation présente un avantage au regard de la professionnalisation des individus : les réunir au sein d’un même espace, estomper progressivement les frontières culturelles croissantes entre les individus et les entreprises, entre les générations aussi, rapprocher les fonctionnements et les valeurs, la connaissance mutuelle, et donc réduire le « choc de culture », en partie à l’origine du manque de motivation et d’engagement dans l’entreprise.

Cette situation présente aussi un risque. Celui d’un écart plus important, si la socialisation sur le Web est superficielle, davantage motivée par des objectifs d’image et de réputation, déconnectée des réalités du terrain… Cela vaut pour les individus comme pour les entreprises.

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Pour ne pas réduire la motivation au travail des jeunes, les entreprises doivent mieux communiquer sur la réalité des emplois et des parcours professionnels qu’elles proposent, faire évoluer les pratiques de management et les formes d’organisation pour que les salariés, jeunes et moins jeunes, trouvent ou retrouvent du sens et du plaisir dans leur travail.

« La motivation au travail : une question de finalité ? » sur le blog La Tribu des Experts avec un prolongement des échanges autour de la motivation individuelle et collective sur LinkedIn dans le groupe Parlons RH.

Gestion de carrière : le réseau peut-il remplacer l’entreprise ?

Et vous qu’en pensez-vous ?

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