RH & Carrières est un nouveau temps d’id-carrieres orienté vers le partage d’expériences qui constitue, pour nous, un levier remarquable d’apprentissage pour réussir à orienter son parcours professionnel.
En effet, la personnalisation des parcours, la diversité des théories et des pratiques sur le marché du travail, et les transformations qui s’opèrent actuellement renforcent l’utilité de partager ses expériences, ses approches, ses avis.
Nous avons sollicité Frédéric Mischler qui est Responsable de la Formation et du Développement des Compétences chez STMicroelectronics.
Frédéric a eu la gentillesse de répondre à 3 questions qui ne manqueront pas d’intéresser aussi bien les candidats, les salariés en poste ou encore les professionnels des ressources humaines et du recrutement :
- la place de la formation dans le développement des compétences,
- le recrutement,
- la gestion de carrière et l’employabilité par les salariés,
ET une question plus personnelle sur ses points d’attention pour gérer son propre parcours professionnel.
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Tu suis de près les innovations en RH, la formation reste-t-elle l’outil principal et l’outil le plus efficace pour développer les compétences et ses compétences ?
De mon point de vue, nous avons été habitué depuis plusieurs décennies en France à penser directement « Action de Formation et Plan de Formation », comme la solution évidente à l’expression d’une demande d’acquisition ou de développement de compétences. En d’autres termes, la formation est généralement l’outil principalement proposé par habitude, voire facilité.
Entendons-nous bien, lorsque je parle ici d’action de formation, je pense principalement à la notion de Formation telle qu’elle est encore malheureusement trop mise en oeuvre dans nos entreprises et organisations : A savoir inscrite dans un cadre globalement rigide qu’est celui du plan de formation, envisagée selon un mode standard, c’est à dire « en présentiel » et sur une ou plusieurs journées consécutives. Un modèle qui fait notamment abstraction de la réalité des capacités cognitives de l’être humain, en termes d’aptitudes à se concentrer dans la durée, et en regard de sa courbe d’oubli et de mémorisation limitée. Sans parler de l’absence dans la grande majorité des cas, d’une phase amont durant laquelle l’apprenant va définir les résultats qu’il vise en termes d’acquisition ou développement de compétences, d’une phase préalable de prise en compte concrète et réelle par le formateur de ces inputs individuels pour construire le dispositif de formation adapté, et enfin d’une phase aval, de mesure individuelle des résultats concrètement atteints par des mises en pratiques avérées.
En pratique, chaque fois que j’ai posé autour de moi la question : « Comment as-tu concrètement appris à faire ce que tu fais aujourd’hui dans ton job ? » et donc en substance « Comment es-tu devenu compétent dans le cadre de ta fonction ? » … personne ne m’a jamais répondu « J’ai passé 3 jours dans une salle de formation, j’ai mémorisé les dizaines de slides visionnés et tout ce qu’a expliqué le formateur, j’ai participé à 3 simulations de cas en groupe, j’ai fait 1 jeu de rôle … et le tour était joué, j’étais compétent … ».
Je pars du principe que la compétence s’acquière par la pratique, dans le temps et par la répétition. Or, combien de formations répondent dans leur conception et leur déroulement à ces 3 critères ? : Dispensée et séquencée dans la durée, favorisant la mise en pratique, et induisant la répétition ? Certes, nous voyons se développer et expérimentons de plus en plus des approches de type « Blended Learning » ou autres dispostifs visant à mixer différents vecteurs de formation. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont généralement envisagés selon une approche industrielle de la formation, sur un modèle de transfert du savoir comparable à la métaphore d’une carafe d’eau que l’on cherche à déverser dans un verre, sans se soucier de sa contenance et du débit du transfert.
Bref, j’estime que les principes de la formation, qui la fonde encore aujourd’hui, ne sont plus suffisamment efficaces pour développer concrètement les compétences en regard de la complexité de notre réalité et des changements de plus en plus rapides que nous vivons. J’en veux pour preuve les difficultés rencontrées pour démontrer l’effectivité des acquisitions de compétences et le retour sur investissement de bon nombre d’actions de formation.
Je milite dès lors pour un changement d’état d’esprit, qui prenne réellement en compte l’individu pour le mettre de manière effective au coeur de ses apprentissages. Je milite pour une convergence entre les opportunités qui nous sont offertes aujourd’hui par la technologie comme le web 2.0, les plateformes mobiles, etc. et des approches ré-inspirées de celles du compagnonnage, de l’artisanat, de l’apprentissage dans le sens : « je vais t’apprendre mon métier et la passion de mon métier par la pratique et dans le temps ».
Dans ce cadre, les trois principaux leviers du développement de ses compétences à considérer, sont pour moi :
1/ « L’envie, la motivation et la soif d’apprendre » intrinsèque et inhérente à l’individu,
(Il s’agit dès lors de qualifier et mesurer par exemple la capacité de l’individu à être autodidacte, sa motivation à chercher à apprendre via différents médias accessibles facilement, instantanément et à la demande, ce que nous permet la technologie aujourd’hui)
2/ Un environnement et des dispositifs qui lui permettent de pratiquer, d’expérimenter, de s’entrainer, de favoriser les interactions, les confrontations d’idées et les échanges,
(En d’autres termes, favoriser les apprentissages collaboratifs, les accès aux bons réseaux et personnes qui savent, le droit à l’expérimentation et à l’erreur)
3/ Un ou plusieurs référents qui l’accompagnent, le motivent dans le temps et contribuent à l’acquisition effective de ses compétences.
(En fonction de la nature des dimensions à acquérir, j’entend par référents, soit un expert, un tuteur, un mentor, un coach, et dans tous les cas de figure, le manager réellement soucieux de l’acquisition effective des compétences par son collaborateur, et dont la qualité principale dans ce cadre est la pédagogie.)
Victor Hugo disait : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue » … et en cela, j’ai le sentiment que les choses se mettent en place progressivement, que l’heure arrive …
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Merci beaucoup Frédéric, nous échangerons demain sur le recrutement. Vous pouvez retrouver Frédéric Mischler sur Twitter ou sur son blog InnovationsRH
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En poste, en recherche d’emploi ou manager RH, vous aussi partagez votre expérience.
Selon vous, quelle est la place de la formation dans les démarches d’adaptation et de développement des compétences ? Quelles sont les modalités d’apprentissage les plus efficaces ?
Marie-Pierre,
J’ai du mal m’exprimer, l’entreprise a besoin de managers compétents mais ce n’est pas avec le E-learning qu’elle va les acquérir et les développer.
Les entreprises pionnières qui ont investi dans le E-learning management ne vont pas me contredire même si elles obtiennent un léger mieux en les combinant avec du présentiel (blend learning).
Quand aux serious games, ils présentent l’inconvénient majeur de normaliser les pratiques ce qui va à l’encontre de la créativité demandée par la suite.
La spécialisation des solutions et des thématiques va créer plus de conflits cognitifs que de solutions et potentialités.
Bonjour Jean-Marc,
Merci de partager votre avis et votre expérience de la formation et de la pédagogie.
Je ne partage pas tout à fait votre avis sur les compétences des managers : les compétences des managers comme celles des membres de son équipe sont tout aussi essentielles à la performance globale de l’entreprise, qu’il s’agisse des compétences techniques et des compétences comportementales (soft skills).
Dans les compétences transversales citées cf. capacité à décider et à faire, je rajouterais les compétences relationnelles.
Bonne semaine, merci pour votre contribution 🙂
Bonjour
Au travers de ce témoignage, le constat sur la formation est formidable, elle est réduite à la fonction de respiration sociale.
Un plan de formation, son programme, ses séquences pédagogiques qui s’étalent sur une ou plusieurs journées où le formateur anime des slides, fait réfléchir sur quelques études de cas, propose un jeu de rôle… nous sommes bien loin des mises en situation professionnelle, du développement de la capacité à interagir avec l’incertitude. Des cours où on joue à…comme les enfants jouent à la dinette ou à la marchande.
La perpétuation d’une croyance où il y aurait une solution miracle que l’on pourrait reproduire par la répétition.
Ce serait si simple si l’individu n’était qu’une plante dans un vase à remplir où la transformation du bourgeon à la fleur serait le signe d’une réelle montée en compétences mais l’Homme n’est pas un végétal même s’il en a quelques caractéristiques héritées de son évolution, il est plus complexe que cela.
Des formations plus courtes, plus interactives, plus opérationnelles plus réflexives pour développer l’agentivité posent la question du modèle économique : Faire intervenir un formateur pendant 1 heure ou 2h pour comprendre, mémoriser, réfléchir, produire, imaginer, s’adapter nécessite une organisation souple, ce qui n’est pas le modèle dominant à la vue des externalisations.
Le E-learning pour l’acquisition de techniques permet cela mais dès que l’on touche aux comportements comme les formations management, l’autorité, le rapport à l’autre s’apprend entre personnes et non au travers d’une machine surtout vu le niveau de l’intelligence artificielle des solutions E-learning ou serious games, des solutions behavioristes où la réussite n’est pas le gage de meilleures interactions avec l’autre. Ce n’est pas parce que j’ai gagné la partie que je sais être un bon manager où alors je n’ai pas la même définition de la fonction management.
Autre problème contextuel, l’individualisation aussi bien de la société ( Cf le rapport de Gerard Mermet, directeur de Francoscopie), que des évaluations amènent les salariés non à coopérer dans un esprit de fair play, à faire preuve de coopétition mais à être dans une compétition permanente pour avoir un avancement ou garder sa place.
A titre d’exemple Google se rend compte que les femmes de son entreprise ne demandent pas d’évolutions et de fait n’en bénéficient pas ou très peu. A quoi on servi les évaluations aussi bien de la formation que du travail dans les promotions ? A quoi a servi la GPEC ?
Les compétences nécessaires à l’évolution professionnelle résideraient-elles majoritairement dans le relationnel et le social ?
La formation est magique dans le sens où elle seule, à ma connaissance, permet de révéler le génie qui est en chacun et de permettre l’accès au monde des possibles mais tant apprendre pour soi est un gage de mieux être tant être compétent dans l’entreprise n’est pas un gage de réussite (Re google). Cela permet uniquement d’augmenter son employabilité pour être mieux chassé 😀 vu la situation de guerre économique.
Pourtant je suis convaincu que la performance des entreprises réside dans la qualité des compétences de sa base et non de ces cadres qui ne font souvent que passer.
Quid de la réflexion et de l’action des DRH vis-à-vis de la formation ?
Comme un tabouret qui est toujours à l’équilibre car il a trois pieds peu importe leur longueur, la formation gagnera ses lettres de noblesse quand les directions, outre les formations pour répondre aux situations les plus rencontrées en mode normal et dégradé, mettront en place des formations sur les réelles capacités de l’Homme en développant ses métaconnaissances pour lui permettre de gagner en autonomie (capacité à décider) et en indépendance (capacité à faire).
En attendant, respirons …