En préambule, rappelons que l’article L 1152-1 du Code du Travail défini le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié, ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Cette définition volontairement extensive s’accompagne, depuis la loi du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciement économique, d’un régime de preuve favorable au salarié.

En effet, depuis cette date, le salarié s’estimant victime harcèlement moral doit simplement établir des faits permettant d’en présumer l’existence à charge, ensuite, pour l’employeur, de démontrer que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral.

Un récent arrêt de la Cour de Cassation donne une illustration singulière de la nature des faits susceptibles de laisser présumer un harcèlement moral dans une affaire riche d’enseignements pour les entreprises.

Une salariée, engagée en qualité de pharmacienne assistante, le 1er janvier 2001 saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur en raison, estime-t-elle, du harcèlement moral que ce dernier lui fait subir.

À l’appui de ses allégations, la salariée fait état, en cause d’appel, d’une série de faits qui, selon elle, laisse présumer, une situation de harcèlement.

Parmi ces faits, la salariée reproche notamment à son employeur un isolement de la clientèle et un acharnement verbal et disciplinaire.

En revanche, l’un des griefs avancés par la salariée retient l’attention : il est reproché à l’ employeur la multiplication des contre-visites médicales lorsqu’elle était en arrêt de travail.

La salariée indique, notamment, avoir subi trois contre-visites médicales au cours de la période courant du 27 décembre 2006 au 20 mars 2007.

Sur ce point, l’employeur souligne que la possibilité d’organiser de telles contre-visites ne peut constituer un fait participant d’un harcèlement moral dans la mesure où cette procédure est prévue par l’article L.1226-1 du Code du Travail.

La Cour d’Appel juge qu’au regard des explications fournies par l’employeur, les faits présentés par la salariée n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement moral.

Cette dernière est donc déboutée de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail mais forme un pourvoi en Cassation.

En droit, la Cour de Cassation était donc invitée à se prononcer, notamment, sur le point de savoir si l’organisation de contre-visites médicales par l’employeur, bien qu’autorisée par la loi, pouvait constituer un fait laissant présumer une situation de harcèlement moral dès lors qu’il s’agissait d’une pratique répétée de l’employeur.

La Cour de Cassation répond par l’affirmative en cassant l’arrêt rendu par la Cour d’Appel aux motifs suivants :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’employeur avait adressé à la salariée trois lettres contenant des observations partiellement injustifiées, avait engagé une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle à laquelle il avait renoncé et avait provoqué, dans une période de trois mois, trois contrôles médicaux destinés à vérifier si l’état de santé de l’intéressée le justifiait, ce dont il résulte que la salariée fournissait des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés […]»

Aux termes de cette décision, la Cour de Cassation énonce donc clairement que l’organisation répétée de contre-visites médicales par l’employeur peut constituer un fait laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Ceci appelle de notre part un certain nombre d’observations et préconisations.

En premier lieu, il faut souligner que cet arrêt est la parfaite illustration des conséquences pratiques des règles de preuve instituées par la loi du 3 janvier 2003 précitée.

En effet, l’argument selon lequel l’organisation de contre-visites médicales par l’employeur participait d’un harcèlement moral avait déjà été avancé devant la Cour de Cassation, en 2005,  dans une affaire jugée sous l’empire de la loi antérieure imposant au salarié d’apporter la preuve que les faits invoqués étaient constitutifs d’un harcèlement moral.

À l’époque, la salariée avait fait état de contre-visites médicales de la part de l’employeur sans expliquer de manière irréfutable cette pratique participait d’un harcèlement moral. Elle fut donc déboutée de ses demandes à ce titre.

Désormais, sous l’empire de la loi nouvelle, la charge de la preuve est renversée et il suffit au salarié d’évoquer l’existence de ces visites répétées laissant présumer une situation de harcèlement moral, à charge, pour l’employeur, de démontrer qu’il n’est pas caractérisé.

En second lieu, cette décision invite les entreprises à la prudence dans le contrôle des arrêts de travail de leurs salariés.

Ainsi, si la pratique des contre-visites médicale est tout à fait légale, elle n’est pas exclusive d’un harcèlement moral, en cas d’usage abusif et répété.

En dernier lieu, cette décision marque, une nouvelle fois, la nécessité pour les entreprises, de mettre en place des procédures destinées à prévenir et traiter les situations de harcèlement moral, comme l’Accord National Interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail les y oblige.

Cass. soc. 13 avril 2010 n° 09-40.837 (n° 844 F-D), Guenin c/ Sté Pharmacie de Carnel